Pourquoi un député démissionne ?
Ses explications pour les citoyens au bon soin du maire de Tournan
Le mardi 29 mai 1792 une altercation oppose François de Jaucourt au député dextrême gauche François Chabot à lAssemblée Nationale.
Le Moniteur relate lincident de la manière suivante :
« Chabot : Quoique M. Jaucourt vienne de me menacer de cent coups de bâton, je nen continuerai pas moins mon opinion, car ni ses bâtons, ni ses épées ne meffraieront jamais.
Xxx : Si M. Jaucourt a tenu les propos dont lorateur se plaint, je demande quil soit envoyé avec ses deux collègues à lAbbaye.
Jaucourt : Jai honte de parler devant lAssemblée Nationale dune conversation fort ridicule, tenue confidentiellement avec M. Chabot. Jai trop de respect pour croire quelle regarde comme une insulte faite à un représentant à la Nation le propos que jai tenu avec M. Chabot. Lorsque je lui parlais à loreille, je ne parlais pas à un représentant de la Nation mais à un homme comme moi.
Je ne prétends pas faire une apologie ni panégyrique de ma conduite ; mais je dois observer que M. Chabot m'ayant dit deux ou trois mots assez équivoques, je lui ai répondu que je croyais bien qu'il n'avait rien à dire contre moi au comité de surveillance ; il m'a dit que je pouvais bien me tromper, et là-dessus je lui ai répondu que..... » (On murmure.)<?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" />
Reboul. : Je demande que l'ordre du jour termine enfin cette scène scandaleuse, que M. Chabot aurait bien pu nous épargner.
Chabot. : J'aurais bien pu vous épargner cette scène ; mais en vérité j'ai cru qu'il était bien lâche de la part d'un colonel de proposer des coups de canne à un capucin. »
Jaucourt démissionne de lAssemblée Nationale le 31 juillet, il y est remplacé le 7 août et arrêté puis incarcéré le 10 août 1792 à lAbbaye.
Le 15 août il adresse une longue lettre au maire de La Madeleine lez Tournan , M. Arnoult, dans laquelle il exprime sa confiance dans le pouvoir exercé par le peuple souverain, il justifie sa demande de démission et réaffirme son attachement à la devise Liberté, Egalité, Fraternité.
Franc-maçon, François de Jaucourt a été membre de la Loge Saint Jean dEcosse du Contrat social de 1779 à 1789.( En 1805 après lunification du Grand Orient et de la Grande Loge Ecossaise, il est Grand Secrétaire auprès du Grand Maître Joseph Bonaparte . )
. « Monsieur le Maire,
il mimporterait sans doute que tous les Français rendissent justice à la pureté de ma conduite et de mes intentions comme député. Mais rendu à la solitude et à la vie privée dun simple citoyen, cest dans le lieu où je dois passer le reste de ma vie, cest parmi mes concitoyens, mes plus proches voisins quil mest important que mes actions et mes actions même soient mises au grand jour. Javais écrit dans quelques pages, mes opinions et les motifs de ma conduite dans lAssemblée Nationale. Jai supprimé cet écrit : je ne veux rien qui marque lopposition dans un moment où il importe de rallier tous les esprits. Une Convention Nationale sapproche, devenue la Souveraineté suprême du peuple il ny aura plus de systèmes, plus de doute, plus dambiguïté. Ce nest pas seulement la Constitution jurée, cest la Constitution quil croira la plus utile à son bonheur que le peuple va choisir ; devant cette masse importante de volonté toutes les volontés particulières se tairont.
Ce quil faut que lon sache, ce que je me hâte de vous dire cest que je ne pouvais pas faire adopter mes idées dans lAssemblée et voyant quen employant toutes mes forces à défendre la Constitution, jétais devenu un sujet dinquiétude pour quelques uns, que jétais suspect au plus grand nombre, et que mon patriotisme était révoqué en doute ; ne pouvant pas changer mes opinions ni voter contre ma conscience, brûlant du désir dêtre utile mais ne pouvant plus lêtre : jai fait le seul acte de dévouement qui me fut encore possible. Ne voyant pas comme la majorité, jai voulu du moins nêtre pas un obstacle à sa volonté et aux moyens quelle pouvait prendre pour sauver la chose publique : jai envoyé ma démission. Elle a été acceptée, de cet instant jai passé ma vie seul ne me mêlant plus des affaires, attendant le moment où je saurai si lon memploierait dans larmée ou sil fallait renoncer à la liberté de vivre au milieu de vous Les grands événements du dix sont arrivés et les recherches les plus exactes prouvent assez quand mille témoins ne lassureraient pas que je ny ai pris aucune part.
Ma santé devenue mauvaise par une vie tout à fait contraire à mon tempérament me fait désirer la campagne et la tranquillité ; si lagitation de Paris laisse bientôt à chacun lusage de la Liberté et surtout si mes concitoyens revenus de fausses préventions que lon a cherché à répandre me voyant revenir avec bienveillance, je serais heureux daller me réunir à eux.
Voilà Monsieur le Maire ce que je vous prie de bien vouloir faire connaître aux habitants de Tournan. Je ne veux pas occuper de moi. Je ne prononce pas stérilement les mots Liberté, Egalité ils sont dans mon cur. Et je serais heureux revenu à Combreux sans parler de moi, sans écrire, si une malheureuse publicité ne mavait en quelque façon forcé à cette démarche.
Pardonnez moi limportunité quelle vous cause et croyez je vous prie aux sentiment de fraternité et de reconnaissance de votre concitoyen.
Signé Jaucourt «
Le 1er septembre le Procureur Manuel écrit le billet qui lui permettra de sortir de prison et déchapper aux massacres de septembre :
« Le concierge de labaye (sic) laissera sortir le citoyen Jaucourt avec le citoyen Bonneville pour assister à la levée de ses scellés ».
Les lettresde Germaine adressées à Louis de Narbonne en témoignent.
Le 26 août elle lui écrit : « Mais ce pauvre François, combien Mme de la Châtre doit être agitée ! Elle voudra revenir. Tachez de len empêcher, car nous espérons quen conséquence dune loi qui laisse les députés inviolables un mois après leur démission, il sera entendu et relâché. »
Jaucourt avait demandé par lettre à lAssemblée son élargissement sur ce motif, il essuya un refus le 26 août et son arrestation fut maintenue.
Le 1er septembre : « Jai de vos nouvelles. Jaucourt est délivré. Jai mes passeports. Tout irait bien si vous naviez pas latrocité de me dire que vous reviendriez si je restais »
Le 3 septembre, elle écrit cette fois à Mme de la Châtre qui se trouve à Kensigton Square à Londres :
« Tout ce qui intéresse mon aimable amie est depuis deux jours en parfaite sûreté. Que cette pensée lui fasse supporter les nouvelles quelle apprendra. Je compte partir dans deux heures »
Libéré, François de Jaucourt sollicite du Ministère de la Guerre lautorisation daller soigner sa santé aux eaux.
Le 4 septembre il effectue une offrande patriotique à la section du Théatre Français : six cents livres et deux chevaux bai et alezan.
Le 15 septembre, Jaucourt, Mathieu de Montmorency et Talleyrand sont à Londres chez Mme de la Châtre.avec son ami Louis de Narbonne.
Le 19 septembre elle lui écrit « Je nécris pas à Mad. De la Châtre parce que vous êtes auprès delle et que je ne suis pas avec François de Jaucourt, mais sait-elle par vous combien je laime et à quel point il me sera doux de me réunir à elle ? »